Epilogue


             Le ciel de Phnom Penh était d’une grande luminosité, comme il l’est souvent lorsque le soleil resplendit de nouveau après une averse de mousson. Je me suis levé à six heures du matin, réveillé par le premier vendeur de soupe ambulant. J’ai fait ma toilette en me déversant un seau d’eau froide sur le corps. Un moment désagréable et euphorisant. J’ai ensuite enfilé mon short et ma chemise et suis venu directement au café.

            Je me suis installé tranquillement à la terrasse, les cheveux bien peignés et l’esprit parfaitement vide.

            Autour de moi, des familles attablées se racontent toutes sortes d’histoires en avalant leurs grands bols de soupe. Je les regardais rire et s’énerver. Moi, je me contentais de mon habituel café au lait et d’un long biscuit. Je regardais passer les vendeurs et les cyclos en direction du marché Psa Kapko. Buvant mon café par petites rasades, regardant les gosses habillés de leur petite tenue scolaire réglementaire, bleu et blanche, contemplant les femmes se déplacer avec grâce, le fruit de leur course dans un panier au-dessus de leur tête, j’ai ressenti le bonheur.

            Il devait être six heures cinquante. J’ai noté l’heure.

            Tout le monde était là. Tout le monde était actif autour de moi. Personne ne me racontait quoi que ce soit. Tout le monde m’ignorait.

            A Paris, Etienne, Franky, Marius et tous les autres avaient parlé de burn out. La presse avait elle évoqué un aveu à peine déguisé d’une culpabilité, d’une fuite. On avait aussi dit : « Il n’a pas tenu le coup, il n’était pas assez fort. Le Cambodge, c’est plus facile, ça coûte moins cher. » Puis on avait parlé d’autre chose, on avait vite oublié.

            Tous avaient raison en partie. Mais ils sont aussi passés à côté de l’essentiel. Ce qui me rendait heureux ce matin, et de la manière la plus pure qui soit, c’ était cette possibilité d’être parmi les autres, au milieu d’eux, sans les comprendre. J’ai retrouvé la perception physique et immédiate du monde. Tellement plus forte, tellement plus vivante que les millions de mots que mon monde évolué, là-bas, produisait chaque jour.

             J’ai pris mon café au lait en ne pensant qu’au café au lait.
            Je n’avais plus peur.